N. Coquery: Tenir boutique à Paris au XVIIIe siècle

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Titel
Tenir boutique à Paris au XVIIIe siècle. Luxe et demi-luxe


Autor(en)
Coquery, Natacha
Erschienen
Paris 2011: Edition du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS)
Anzahl Seiten
406 p.
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Corinne Walker

Signe des temps, la consommation suscite toujours plus d’intérêt chez les historiens des sociétés d’ancien régime. Si le grand négoce et le petit commerce ambulant des colporteurs ont donné lieu à de nombreux travaux, le monde de la boutique reste peu exploré. C’est à ce chantier ouvert que s’est intéressée Natacha Coquery, auteur d’une belle thèse sur les pratiques économiques et sociales générées autour des hôtels particuliers parisiens au XVIIIe siècle (1998). Nourrie des travaux de Daniel Roche sur la culture matérielle, de Bernard Lepetit sur les géographies urbaines et de ceux des historiens anglo-saxons sur la consommation, N. Coquery nous donne ici une étude fouillée des boutiques de Paris au XVIIIe siècle, appuyée sur un important appareil critique. L’historienne structure son livre selon l’approche pluridisciplinaire qui guide son propos: histoire des représentations («la boutique en mots»), de la géographie urbaine («la boutique en cartes») et des échanges socio-économiques («la boutique en chiffres»). Son style, clair et sans jargon inutile, rend la lecture de l’ouvrage aisée. Tout au plus pourrait-on regretter l’usage systématique du procédé stylistique de l’énumération qui, même s’il est le reflet de la complexité du réel, peut lasser et nuire parfois à la fluidité de la lecture.

Quel rôle les boutiques ont-elles joué dans l’essor d’une «culture» – pas encore d’une «société» – de consommation et dans l’affirmation de Paris comme capitale du shopping? Comment s’inscrivent-elles dans l’espace urbain et quelle est la géographie de leurs réseaux de clients et de fournisseurs? Quelles relations les petits commerçants ont-ils entretenues avec leurs créanciers et leurs débiteurs? Comment l’innovation commerçante a-t-elle élargi son offre du luxe au «demi-luxe» pour satisfaire une clientèle toujours plus nombreuse? Voilà quelques-unes des questions auxquelles N. Coquery répond grâce aux sources nombreuses qu’elle examine en variant les points de vue et les méthodes, alternant l’analyse quantitative et qualitative.

La première partie de l’ouvrage montre comment l’image du petit commerce, longtemps méprisé, s’impose dans les imprimés qui se multiplient au XVIIIe siècle, contribuant à faire de Paris la capitale du marché du luxe. Dans les guides d’abord, où les boutiques sont décrites à la fin du siècle comme des curiosités au même titre que les sites archéologiques ou les lieux de spectacles. Dignes d’être visitées, elles s’imposent désormais autant comme des lieux de loisirs et de sociabilités que comme des lieux de vente. Puis dès les années 1760, dans les almanachs de commerce dont les annonces publicitaires, au-delà de l’image survalorisée qu’ils donnent de la production parisienne, témoignent de l’essor de la culture de consommation.

Les adresses de 8300 maîtres – représentant 120 métiers – de l’Almanach général (1769) permettent à l’historienne d’aborder la seconde partie de son ouvrage. A partir des cartes de l’implantation géographique du petit commerce dans l’espace urbain, toutes professions confondues, par secteurs et par métiers, elle nous entraîne dans une visite détaillée des rues et des quartiers, pour laquelle le lecteur non parisien aura intérêt à se munir d’un bon plan de ville. Aux zones de faible densité commerciale comme l’île de la Cité ou les quartiers résidentiels du Luxembourg et du Marais, répondent les axes, correspondant aux anciennes voies antiques et médiévales, qui, comme les rues Saint-Martin et Saint-Denis, comptent de nombreuses boutiques. De cette vision générale, il ressort que 60% des marchands sont installés au nord et à l’ouest de la ville, contre 20% au sud et à l’est. Pour affiner son analyse, N. Coquery change de perspective et retient l’exemple de deux boutiquiers liés au commerce du luxe: Nicolas Aubourg, bijoutier installé au faubourg Saint-Germain, et Mathurin Law, tapissier tenant boutique rue Saint-Honoré. A partir de leurs livres de comptes et de leurs bilans de faillite, elle montre qu’il n’y a pas de règle en matière de proximité ou d’éloignement entre les marchands et leurs clients. Si la notion de voisinage semble compter pour le tapissier dont les acheteurs sont en majorité des nobles ou des marchands du quartier et pour le bijoutier qui commerce avec ses confrères voisins, la proximité est d’autant moins une nécessité en matière de produits de luxe qu’il est d’usage que le marchand se déplace chez ses clients; dans ce domaine, c’est surtout la réputation qui compte.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, N. Coquery aborde le fonctionnement financier de la boutique à partir de près de 150 documents comptables. Elle montre comment, par la pratique généralisée du crédit, le commerçant se trouve «encastré» dans un système de relations où la confiance et la réputation jouent un rôle déterminant. C’est en maintenant des relations verticales avec les grands négociants et horizontales avec ses pairs, que le petit commerce pourra survivre aux déséquilibres structurels et aux accidents conjoncturels. La vitalité de la boutique tient largement à sa capacité d’innovation et d’adaptation aux désirs des consommateurs. Le dernier chapitre donne ainsi à voir le foisonnement des objets de luxe et surtout de demi-luxe, ces marchandises nouvelles de moindre qualité – la mode est alors au faux, au plaqué, à l’ancien – qui se diffusent de plus en plus rapidement auprès d’une clientèle qui ne se limite plus aux élites urbaines et dont l’essor témoigne de nouvelles pratiques de consommation dont la fameuse querelle sur le luxe se fera l’écho. La mise en évidence de ces innombrables objets de demi-luxe proposés par les boutiquiers parisiens, par le nouveau système de valeurs qu’ils reflètent, ouvre des perspectives qui font de cet ouvrage un jalon important dans l’étude de la culture de la consommation au XVIIIe siècle.

Zitierweise:
Corinne Walker: Rezension zu: Natacha Coquery: Tenir boutique à Paris au XVIIIe siècle. Luxe et demi-luxe. Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, CTHS, 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 2, 2012, S. 370-371

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 2, 2012, S. 370-371

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